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Frères ennemis ou alliés indispensables ? Retour sur une relation complexe mais porteuse d’avenir.

Carte géographique du Burkina Faso et la Cote d'Ivoire
Carte géographique du Burkina Faso et la Cote d’Ivoire

 

Deux pays, un même souffle

Il existe des nations qui s’observent de loin… et d’autres qui partagent le même souffle. Le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire appartiennent sans aucun doute à cette deuxième catégorie. Deux pays voisins, liés par l’histoire, par la sueur et parfois par les larmes. Deux frères jumeaux, capables de se quereller avec fracas mais incapables de couper les ponts.

De Ouagadougou à Abidjan, les bus, camions et taxis-brousse sillonnent chaque jour la route internationale. Ce couloir commercial et humain transporte bien plus que des marchandises : il véhicule une histoire vieille de plus d’un siècle, faite de migrations, de travail, de tensions politiques, de brassages culturels et de passions sportives.

Quand les Voltaïques bâtissaient la Côte d’Ivoire

Le récit de cette fraternité remonte à l’époque coloniale. Lorsque la France décide de faire de la Côte d’Ivoire sa vitrine économique en Afrique de l’Ouest, un problème se pose : la main-d’œuvre locale ne suffit pas pour transformer la forêt en plantations, ni pour bâtir les routes et les voies ferrées.

La solution ? Aller chercher ailleurs. Dans l’actuelle Haute-Volta, devenue plus tard le Burkina Faso, les colons recrutent, souvent de force, des milliers de travailleurs. Ces “Voltaïquesposent les rails du chemin de fer Abidjan-Niger, défrichent les plantations de cacao et de café, et posent les briques du pays qui deviendra la super puissance économique de la sous région qu’elle est aujourd hui.

Après les indépendances, le mouvement se poursuit. La Côte d’Ivoire, portée par le “miracle ivoirien” des années 1960-70, attire toujours plus de Burkinabè. Mais cette fois, beaucoup s’installent pour de bon. Ils deviennent planteurs, commerçants, artisans, industriels, etc. Ils acquièrent des terres, élèvent des familles. Abidjan, Bouaké, Daloa ou Korhogo deviennent leur maison, au même titre que Ouagadougou ou Bobo-Dioulasso.

Migration : une richesse qui suscite parfois des crispations

Aujourd’hui, la diaspora burkinabè en Côte d’Ivoire se chiffre en millions. Certains estiment qu’un quart de la population ivoirienne est d’origine burkinabè. Et sans cette main-d’œuvre, les plantations de cacao qui font de la Côte d’Ivoire le premier producteur mondial ne tourneraient tout simplement pas.

Pourtant, cette présence massive n’a pas toujours été accueillie à bras ouverts. Dans les années de crise, notamment en 2002 ou en 2010, la question de l’“étranger” est revenue avec virulence dans le débat politique. Certains discours xénophobes ont accusé les Burkinabè de “prendre la terre” ou de menacer l’identité nationale ivoirienne.

Mais la réalité sociale est bien différente. Dans les villages, sur les marchés, dans les quartiers populaires, les deux peuples cohabitent. Ils travaillent ensemble, se marient entre eux, parlent les mêmes langues. Le dioula, le mooré et le français circulent naturellement d’une communauté à l’autre. La cohabitation du quotidien est souvent plus forte que les divisions alimentées par les élites politiques.

Politique : frères ennemis, frères obligés

Les relations entre dirigeants des deux pays n’ont jamais été un long fleuve tranquille. Houphouët-Boigny et Thomas Sankara ne partageaient pas la même vision de l’Afrique. Blaise Compaoré, longtemps accusé d’ingérence dans les crises ivoiriennes, a lui aussi laissé des cicatrices dans la mémoire collective.

Pourtant, malgré les rancunes, les deux États ne peuvent pas se tourner le dos. La géographie l’interdit : Abidjan est la principale porte maritime du Burkina. L’économie l’interdit : le corridor Abidjan–Ouaga est vital pour les deux nations. L’histoire l’interdit : les familles transfrontalières, elles, ne connaissent pas de frontière.

Les tensions politiques passent, mais la coopération revient toujours, parfois contrainte, parfois sincère. C’est la définition même d’une fraternité turbulente.

Culture et société : le ciment des peuples

Là où les politiques échouent, le peuple triomphe. En Côte d’Ivoire, on parle mooré dans les marchés de Yopougon, on danse sur le warba venu du Burkina, et les Burkinabè vibrent sur le coupé-décalé né à Abidjan.

La culture ne connaît pas de frontière : elle circule, s’imprègne, se transforme. Les mariages mixtes se comptent par milliers, donnant naissance à une génération qui n’a plus besoin de choisir entre “ivoirien” et “burkinabè”. Pour elle, les deux identités se complètent et forment une seule réalité.

C’est peut-être cela, la plus grande force de cette relation : une fusion populaire que ni la politique, ni les crises, ni les préjugés ne parviennent à détruire.

Le football, miroir et trait d’union

Le sport, et surtout le football, condense cette fraternité. Quand les Étalons affrontent les Éléphants, les stades s’embrasent, chaque but déclenche une vague d’émotions. Mais derrière la rivalité, il y a aussi un étonnant respect.

En Côte d’Ivoire, quand les Étalons brillent à la CAN, les Ivoiriens applaudissent leurs “frères du Nord”. À Ouagadougou, quand les Éléphants soulèvent une coupe, les Burkinabè sortent dans les rues pour fêter la victoire.

Le foot devient ainsi une métaphore parfaite : on se défie, on se chambre, mais au final, chacun sait applaudir l’autre. Comme si la victoire de l’un résonnait toujours un peu comme la victoire de l’autre.

Une fraternité indestructible

Le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire sont liés par une histoire singulière, faite de sueur et de contradictions. Oui, il y a eu des tensions, des rejets, des blessures. Mais il y a surtout de la solidarité, des mariages, du travail en commun, des rêves partagés.

Ces deux pays sont comme deux frères turbulents : capables de s’affronter durement, mais incapables de rompre. Parce qu’au fond, ils savent que leur destin est lié.

 

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