Comprendre les peuples pour mieux se comprendre soi-même
Un voyage au-delà des frontières, où la diversité devient un langage commun et la rencontre, un acte de connaissance.
Au XVIᵉ siècle, le philosophe français Michel de Montaigne écrivait dans ses Essais :
« S’il ne fait pas beau à droite, je prends à gauche ; si je me trouve peu apte à monter à cheval, je m’arrête… Ai-je laissé quelque chose à voir derrière moi ? J’y retourne ; c’est toujours mon chemin. Je ne trace à l’avance aucune ligne déterminée, ni droite ni courbe […] J’ai une constitution physique qui se plie à tout et un goût qui accepte tout, autant qu’homme au monde. La diversité des usages d’un peuple à l’autre ne m’affecte que par le plaisir de la variété. Chaque usage a sa raison d’être. »
Ce regard libre et curieux sur le monde résonne avec l’itinéraire d’Ibn Baṭṭūṭa. Deux siècles plus tôt, cet explorateur marocain avait parcouru plus de 120 000 kilomètres en vingt-cinq ans de voyages. Comme Montaigne, il voyait dans la diversité des peuples une richesse à découvrir plutôt qu’un obstacle. Il aurait sans doute trouvé dans la collection « Comprendre les Peuples » une prolongation de son expérience : apprendre de manière autonome à entrer en dialogue avec l’autre et à penser une francophonie plurielle et ouverte.

C’est dans cet esprit que Tõnd Média est allé à la rencontre du franco-malgache Loïc Hervouet, ancien directeur général de l’École supérieure de journalisme de Lille (ESJ) et directeur de cette collection, passeur contemporain de ces voyages interculturels.
Tõnd Média : Comment naît une collection comme « Comprendre les peuples » ?
Loïc Hervouet : C’est le fruit d’une conviction, d’une constatation, d’une immersion, et d’une occasion.
La conviction, c’est que le journaliste, selon la formule de Diderot, doit être un dépréjugeur. Il doit bâtir des ponts entre inconnus, dans le même pays entre classes sociales, origines ou régions, à l’international entre ethnies, peuples et nations. Avec la conviction que cet autre, si différent puisse-t-il paraître, est « mon semblable, mon frère » … Il va falloir briser les idées reçues, les clichés, les généralisations hâtives et abusives, les assignations de l’autre à son origine. Développer une ardente obligation de la compréhension. « Il n’y a pas d’étrangers sur cette terre », selon la belle formule de la Cimade, ONG de solidarité active avec les migrants, réfugiés et demandeurs d’asile.
La constatation, c’est que les clubs de vacances à l’étranger assignent à résidence et barricadent bien souvent leurs clients, qui ne rencontreront guère du pays où ils séjournent que la plage ou les palmiers, le soleil, au mieux le marché local typique. La même observation vaut pour de multiples guides de voyage : la connaissance intime et respectueuse des habitants n’est pas leur préoccupation première.
L’immersion, c’est celle du directeur de la collection, missionné à vingt ans par le ministère de la coopération, et par hasard à Madagascar. Deux années de journalisme sur place, un mariage avec une consœur du pays (55 ans de vie partagée avant son décès), une famille malgache, des dizaines et des dizaines de voyages, le tour complet de l’île (en 4×4) mais aussi sa traversée à pied d’Est en Ouest (plus de 400 km). De quoi dépasser le superficiel. De quoi être souvent sollicité par des voyageurs ou de futurs expatriés. D’où de multiples notes écrites ici ou là, bribes par bribes.
L’occasion de consolider ces bribes pour en écrire un livre, est venue en 2016 avec la tenue à Madagascar du XVIème Sommet de la Francophonie, également l’occasion du Congrès des journalistes francophones. Chargé d’organiser à Antsirabe ces trois jours d’Assises de l’UPF pour 350 professionnels de 56 pays, l’auteur a été pressé de relever le défi. La première édition de « Comprendre les Malgaches » est ainsi née en 2016. Sa cinquième édition enrichie et augmentée via internet est sortie en novembre 2024.
L’éditeur de Riveneuve, Gilles Kraemer, internationaliste convaincu, a convaincu son auteur de lancer une collection « Comprendre les peuples », suivant les mêmes principes de rédaction de ce « guide de voyage interculturel », publié, dit le slogan, « à l’intention des voyageurs qui ne veulent pas à tout prix éviter les habitants du pays qu’ils visitent ».
Tõnd Média : Quel est le schéma commun aux livres de la collection ?
Loïc Hervouet : « Les Malgaches » ont donc été suivis, par « Les Coréens », « Les Turcs », « Les Vietnamiens », « Les Tunisiens », « Les Américains des Etats-Unis », « Les Libanais », « Les Irlandais ». « Les Canadiens » sont en préparation. Tous ces ouvrages répondent à un cahier des charges bien précis. Le choix de l’auteur est primordial. Auteurs autochtones interdits, car il faut qu’ils aient vécu l’apprentissage de l’autre culture et ses difficultés. Pour autant, il faut qu’ils soient légitimes à transmettre, par leur connaissance intime du pays. Cette légitimité sera attestée par une préface et une postface de personnalités ou spécialistes du pays concerné.
Obligatoirement disciple d’Edgar Morin sur « la compréhension » et de William Howell sur l’interculturalité, l’auteur doit adopter un style et une démarche concrets : « Qu’ont-ils dans la tête et dans le cœur, nous avons différemment ?» : une réflexion sur les différences psychologiques, sociologiques et culturelles. Une implication personnelle, sincère mais sans voyeurisme ni égocentrisme.
Le guide veut proposer une « anthropologie à hauteur d’homme », simple et vivante, pas savante, mais pertinente. Une approche empathique, de l’intérieur, mais qui reste lucide, n’esquive pas « les mauvais côtés ». Une aide à « bien voyager » ou « bien s’insérer » dans le pays. L’expérience montre qu’il est aussi une aide pour les émigrés du pays et surtout leurs enfants souvent acculturés, à se connaître eux-mêmes sinon se (re)découvrir.
Tõnd Média : Belles intentions… Comment se concrétisent-elles ?
Loïc Hervouet : Il y a tout simplement des ingrédients interdits : pas de descriptions des itinéraires pour les paysages et les sites; pas d’informations sur les hôtels et restaurants (mais on peut, on doit, parler de la cuisine locale) ; pas de compilation d’interviews d’experts du pays ; pas de traitement de l’actualité politique; pas de déroulé historique s’il n’est pas justifié pour comprendre les gens d’aujourd’hui (on n’évitera justement pas de traiter des séquelles des guerres ou des colonisations…).
Ingrédients obligatoires : un corps principal d’analyse des composants culturels et des ressorts psychologiques spécifiques des habitants (dont un chapitre de conseils de comportement) : c’est la première partie, l’essentiel du propos. Puis un cahier central de 8 à 12 pages de photos de personnes en situation, pour donner un visage aux habitants. Des récits « choses vues », histoires vécues, légendes composent la troisième partie. Enfin viennent une bibliographie, une filmographie, une webographie, copieuses et commentées.
Tõnd Média : Quelle est, dans la démarche de la collection, la place de l’oralité ?
Loïc Hervouet : C’est essentiel pour aborder bien des pays et des régions du globe. La vérité populaire s’exprime d’abord et avant tout par la parole. La sagesse, les règles de comportement, les attitudes devant la vie (et la mort !) sont souvent mieux exprimées par les sentences, dictons, maximes ou proverbes, que dans une thèse de troisième cycle. Donc dans le corps des exposés comme dans un chapitre spécifique, les auteurs sont invités à compulser ces trésors de vérité et d’authenticité et à contribuer un peu aussi à ce que ces richesses orales ne disparaissent pas.
En outre, pour chaque pays, l’auteur est invité à consacrer un moment aux spécificités de la langue ou des langues qui y sont parlées, car elle ou elles modèlent les raisonnements, c’est bien connu.
Au fil de ces récits, de Montaigne à Ibn Baṭṭūṭa, de Madagascar à l’Irlande, une même conviction s’impose : la rencontre avec l’autre n’est pas un détour, mais une voie essentielle pour grandir en humanité. En valorisant les cultures, les langues et les sagesses populaires, la collection « Comprendre les peuples » trace un chemin vers une francophonie plurielle, vivante et ouverte. Un appel à voyager non pas seulement pour voir, mais pour apprendre à regarder autrement.
Interview réalisé par Benoist MALLET DI BENTO Consultant IC- Intelligence Culturelle et Francophonie

