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 Créer son entreprise au Burkina Faso : espoirs et défis

À Ouagadougou comme dans les campagnes, de nombreux jeunes Burkinabè caressent le projet de monter leur propre entreprise. Sous l’impulsion du gouvernement, ces ambitions sont mieux soutenues qu’il y a quelques années. En juin 2023, le président de la Transition, le capitaine Ibrahim Traoré, a lancé l’initiative d’« entrepreneuriat communautaire par actionnariat populaire » pour financer des PME locales. Il a invité « tous les Burkinabè qu’ils soient sur le territoire ou de la diaspora » à souscrire massivement à ce programme, jugeant que l’avenir du Burkina « ne viendra pas d’ailleurs ». Selon les instigateurs, ce mécanisme doit permettre de créer rapidement des entreprises employant le maximum de jeunes et de soutenir un développement « endogène et inclusif ». Dans ce contexte, la Maison de l’Entreprise du Burkina Faso (MEBF) – association reconnue d’utilité publique – se présente comme un « catalyseur de la culture entrepreneuriale », accompagnant les porteurs de projets et diffusant les réformes.

Image rond-point des cinéaste - centre ville Ouagadougou
Image rond-point des cinéaste – centre ville Ouagadougou

Un vent d’ambition gouvernementale

Pour améliorer le climat des affaires, les autorités burkinabè ont multiplié les réformes et créé de nouvelles structures. Par exemple, un Centre de Formalités des Entreprises (CEFORE) a été institué dans chacune des 13 régions. Ce guichet unique simplifie le dépôt des dossiers (RCCM, IFU, CNSS, etc.) en regroupant l’administration du commerce, de la fiscalité et de la sécurité sociale au même endroit. Par ailleurs, le capital minimum pour créer une SARL a été ramené à seulement 5 000 FCFA par part sociale, et une plateforme de création en ligne ([www.creerentreprise.me.bf](http://www.creerentreprise.me.bf)) est désormais opérationnelle. Lancée en mars 2020, cette plateforme permet de créer une société en seulement 24 heures à Ouagadougou (et en 5 jours en province), un délai promis « bientôt » réduit à deux heures selon le gouvernement.

 

En parallèle, des guichets uniques ont été mis en place pour les autorisations liées au foncier (GUF), à l’électricité (SONABEL), à l’eau (ONEA) et aux impôts (DGI). La dématérialisation progresse : la DGI offre désormais la télédéclaration fiscale et le télépaiement via sa plateforme E-SYNTAX. Toutes ces mesures visent à « faciliter l’accès au financement aux PME » et à créer « un environnement propice » au développement du secteur privé, rappelle Serge Poda, ministre de l’Industrie et du Commerce. Au total, l’effort donne ses fruits : selon le ministère, le nombre d’entreprises créées annuellement a augmenté ces dernières années (malgré la crise sécuritaire).

 

Pas à pas : les formalités administratives

Concrètement, plusieurs étapes s’enchaînent pour immatriculer son entreprise. D’abord, l’entrepreneur doit choisir une forme juridique (entreprise individuelle, SARL, SA, groupement, etc.) et rédiger les statuts de sa société (objet social, siège, capital, répartition des parts…). Ensuite, le dossier complet est déposé au CEFORE – le Centre de Formalités des Entreprises – du ressort géographique correspondant. Ce centre unique, géré par la Maison de l’Entreprise, se charge d’accomplir toutes les démarches auprès des administrations compétentes.

 

Rédiger et déposer son dossier: Pour une entreprise individuelle, on demande le Registre du Commerce et du Crédit Mobilier (RCCM), la déclaration d’existence fiscale avec obtention d’un IFU, la Carte Professionnelle de Commerçant (CPC) et l’affiliation à la CNSS. Pour une société (SARL, SA…), il faut obtenir le RCCM, l’IFU et inscrire la société à la CNSS. Le gérant d’une SARL peut aussi solliciter une CPC. Tous les documents d’identité des associés (CNI), les statuts signés et le certificat de domiciliation du siège social sont exigés par le CEFORE. Les pièces supplémentaires (attestation bancaire de dépôt de fonds pour la SAS, délibérations des associés, etc.) dépendent de la forme choisie.

 

Utiliser les plateformes en ligne:  Pour gagner du temps, il est possible de réaliser l’essentiel de la procédure depuis son ordinateur. Le portail officiel [www.creerentreprise.me.bf](http://www.creerentreprise.me.bf) (géré par le ministère du Commerce) permet d’enregistrer en ligne le formulaire de création et de suivre l’état d’avancement. Depuis 2020, la souscription de l’acte uniforme de l’OHADA ( organisme panafricain régissant les lois sur la gestion et la création d’entreprise en Afrique francophone ) et l’émission automatique du RCCM sont intégrées à ce site. En complément, le « Portail d’Entrée au Burkina Faso » ([www.peb.bf](http://www.peb.bf)) délivre en ligne des documents utiles (certificat d’origine, autorisations d’exportation/importation, licence spécifique…), dématérialisant ainsi plusieurs démarches liées aux échanges commerciaux.

 

Fiscalité de base et obligations: Après l’immatriculation, l’entreprise doit se conformer aux obligations fiscales et sociales. Elle acquitte l’Impôt sur les Sociétés (IS), fixé à 27,5 % du bénéfice imposable, ainsi que la TVA (18 %) pour les livraisons de biens et services. Des taxes locales (patente professionnelle, taxe de promotion locale, etc.) peuvent s’ajouter selon la commune. L’entreprise doit produire chaque année ses déclarations fiscales (bilan, TVA, etc.) et tenir une comptabilité conforme au Code général des impôts. L’Identifiant Fiscal Unique (IFU) est attribué lors de la déclaration d’existence. Sur le plan social, toute structure ayant des salariés s’enregistre à la CNSS et verse des cotisations patronales (8 % de la masse salariale pour l’assurance sociale, 2,5 % pour la retraite) et sociales (accident du travail, assurance maladie).

 

Au total, grâce à ces mesures, le délai moyen de création est très court : le ministère assure pouvoir immatriculer une entreprise « en 24 heures à Ouagadougou ». En pratique, il faut compter quelques jours de préparation des documents et de saisie informatique, puis l’enregistrement officiel au CEFORE ou sur plateforme.

 

Paroles de jeunes entrepreneurs

Lassina Ouédraogo, 30 ans, originaire de Bobo-Dioulasso et installé en Afrique du Sud, raconte les hauts et les bas de son retour au pays. « J’ai rencontré tellement d’obstacles bureaucratiques en voulant lancer ma pépinière d’arbres fruitiers que j’ai pensé abandonner », confie-t-il. Il a fallu toute la volonté du monde : grâce à l’appui d’un conseiller du CEFORE et au gain de temps offert par la plateforme en ligne, il a finalement pu finaliser son projet. « Aujourd’hui je suis fier de contribuer à nourrir ma région avec des fruits locaux, mais sans ces réformes je n’y serais pas arrivé », résume-t-il.

 

À Ouagadougou, Aminata Zongo, 24 ans, a créé une PME prêt à porter, et possède aujourduit plusieurs magasins à Ouaga et à Bobo. D’un tempérament obstiné, elle affirme : « On m’a souvent dit que c’était impossible de lancer une entreprise ici, mais je ne lâche rien. Il faut être patient et comprendre le système ». Après avoir suivi les ateliers gratuits de la MEBF et peaufiné son plan d’affaires, elle s’est rendue au CEFORE avec son dossier. Elle vante l’accueil du guichet unique qui lui a simplifié les démarches : « Le conseiller m’a guidée pas à pas, de l’enregistrement fiscal à l’immatriculation, tout s’est fait rapidement. Maintenant je compte recruter cinq vendeurs et ouvrir d’autres magasins dans d’autres villes du pays inshallah. »

 

Avancées réelles et lourdeurs persistantes

Malgré ces progrès notables, la réalité administrative reste encore lourde pour beaucoup. Le journal L’Économiste du Faso note que « des situations perdurent à cause de la lourdeur administrative », signe que les réformes doivent encore porter leurs fruits. En réponse, le Premier ministre d’alors, Apollinaire Joachimson Kyelem de Tambèla s’était dit déterminé à « amenuiser les goulots d’étranglement » qui minent l’épanouissement du secteur privé. Dans les faits, les délais administratifs peuvent varier d’une région à l’autre et dépendent de la coordination entre services (CEFORE, CNSS, DGI, etc.). Les entrepreneurs soulignent parfois le besoin d’une formation accélérée pour les agents publics, afin qu’ils maîtrisent pleinement les téléprocédures.

En somme, le Burkina Faso a posé les bases d’un environnement plus accueillant pour les créateurs d’entreprise (guichets uniques, dématérialisation, incitations financières, etc.). Pour autant, de nombreux jeunes estiment qu’il faut aussi cultiver un accompagnement humain et pédagogique : comme l’explique Aminata, « on a besoin de mentors et d’échanges entre entrepreneurs, surtout au début ». Les autorités ont promis d’intensifier la sensibilisation et le dialogue avec les jeunes (par exemple via les rencontres gouvernement/secteur privé). Pour les aspirants entrepreneurs burkinabè, le message reste celui de la persévérance : avec de la détermination et les nouveaux outils à disposition, « c’est à nous de créer notre emploi et de faire vivre l’économie locale », selon les mots du ministre de la Jeunesse.

© Tõnd Média

 

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