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Le retour aux noms africains : pourquoi de plus en plus d’Africains abandonnent les prénoms coloniaux

Depuis plusieurs générations, de nombreux Africains portent des prénoms européens ou arabes, un héritage des périodes coloniale et missionnaire. Ces prénoms ont souvent été imposés par l’histoire, effaçant progressivement les noms traditionnels porteurs de sens et de mémoire. Aujourd’hui, une tendance inverse se dessine : des jeunes et des adultes redécouvrent et réadoptent leurs prénoms africains. Ce mouvement n’est pas anodin. Il traduit un besoin profond de réappropriation culturelle, d’identité et de fierté. Pourquoi ce phénomène prend-il de l’ampleur ? Quelles sont les motivations et les obstacles rencontrés ? Plongée dans une reconquête identitaire.

 

  1. Un héritage colonial encore présent dans les prénoms

L’influence des colonisations européenne et arabe a profondément marqué les noms donnés aux enfants dans nos pays. Pendant des siècles, les noms traditionnels ont été soit supprimés, soit relégués au second plan. Les missionnaires chrétiens, par exemple, exigeaient souvent que les nouveaux convertis adoptent des prénoms bibliques, considérés comme plus « civilisés ». C’est ainsi que des millions d’Africains ont été baptisés Jean, Pierre, Marie ou Fatima, abandonnant au passage leurs noms d’origine.

En Afrique subsaharienne, il n’est pas rare de rencontrer des personnes ayant des prénoms totalement européens comme « Richard », Stéphanie » ou Michel », sans aucune référence à leurs origines culturelles. Également, l’influence arabe et islamique a conduit à l’adoption massive de prénoms comme « Ahmed », « Abdoulaye » ou « Aïcha ». Si ces prénoms ont aujourd’hui une place ancrée dans la société, ils sont souvent le reflet d’une époque où l’assimilation culturelle était encouragée, voire imposée.

Certains pays avaient même institutionnalisé cette pratique. Au Rwanda, sous l’administration belge, il était interdit aux enfants d’être inscrits à l’état civil avec un prénom purement rwandais. De même, en Afrique du Sud sous l’apartheid, les prénoms africains étaient souvent remplacés par des prénoms anglais ou afrikaners afin de faciliter la classification raciale.

 

  1. La redécouverte des noms traditionnels : un acte identitaire

Face à cette réalité historique, un nombre croissant de jeunes Africains décide aujourd’hui de reprendre leur prénom traditionnel, parfois en procédant à un changement légal, parfois simplement en demandant à leur entourage d’utiliser leur nom africain au quotidien.

Prenons l’exemple de Kwame Asante, un jeune ghanéen qui, à 25 ans, a décidé d’abandonner son prénom « Stephen » pour reprendre celui que ses grands-parents lui avaient donné à la naissance. « Kwame signifie que je suis né un samedi. C’est une indication importante de mon identité en tant qu’Ashanti. J’ai réalisé que mon prénom anglais n’avait aucun sens pour moi, alors j’ai décidé de revenir à mes racines », explique-t-il.

Sur les réseaux sociaux, ce phénomène prend de l’ampleur. Le hashtag *#MyAfricanName* est utilisé par des milliers de personnes fières de partager leur nom traditionnel et leurs histoires. De nombreux influenceurs africains encouragent leurs abonnés à se réapproprier leur héritage en expliquant la signification de leurs noms.

Dans certaines cultures, les prénoms sont bien plus qu’une simple appellation. En Yorubaland (Nigeria et Bénin), les noms sont porteurs de bénédictions et de prédictions. Par exemple, Temitope signifie « Je suis une source de gratitude », et Ayodele signifie « La joie est revenue dans la maison ». De nombreux jeunes qui avaient été nommés « Paul » ou « Jennifer » dans un contexte urbain et occidentalisé redécouvrent la richesse de ces significations et revendiquent leurs noms d’origine.

 

  1. Un mouvement qui dépasse l’Afrique : la diaspora s’y met aussi

Ce retour aux sources ne se limite pas aux habitants du continent. Dans la diaspora africaine, notamment aux États-Unis, en Europe et dans les Caraïbes, de plus en plus d’Afro-descendants choisissent de se débarrasser des prénoms hérités de l’histoire coloniale ou de l’esclavage.

L’exemple le plus célèbre reste celui de Malcolm X, qui a abandonné son nom de naissance, Malcolm Little, considérant que ce dernier était un vestige de l’oppression de ses ancêtres esclaves. De même, le boxeur Cassius Clay a adopté le nom de Muhammad Ali après s’être converti à l’islam et avoir rejeté son identité imposée. Il faut rappeler que les afro-descendants, pariculiérement les du continent americain, ne portent rarement des noms de famille encore moins des prénoms africains, à cause de l’esclavage et du fait que les esclaves avaient pour nom de famille celui de leurs maitres. 

Image en noir et blanc de Malcolm X et Muhammad Ali
Malcolm X et Muhammad Ali

Alors, certains Africains de la diaspora, principalement des Afro-américains, dans leur désir de se reconnecter aux sources adoptent des prénoms arabes comme Cassius Clay devenu Muhammad Ali, sans doute par manque d’informations sur le sujet. Mais comment pourrait on les juger si encore en 2025 la quisi totalité des enfants qui naissent sur le continent deviennent automaiquement ( sur le papier ) des petit-es blanc-hes, et des petit-es arabes… Pourtant, dans le même temps, aucun texte sacré n’exige un type de prénom particulier pour appartenir à telle ou telle religion. Outre l’évidence du syndrome de stockolm, les consequences de la destruction culturelle de l’Homme noir sont plus que jamais encore d’actualité.

Aujourd’hui, des figures publiques comme Lupita Nyong’o, actrice kényane d’Hollywood, ou Chimamanda Ngozi Adichie, écrivaine nigériane, incarnent cette fierté du nom africain et encouragent la jeunesse à ne pas le cacher. Plusieurs célébrités afro-descendantes choisissent aussi des prénoms africains pour leurs enfants, renforçant ainsi ce mouvement.

 

  1. Les obstacles à ce retour aux sources

Si cette tendance gagne du terrain, elle n’est pas sans difficultés. Dans certains pays, changer légalement de prénom reste un parcours du combattant. En République démocratique du Congo, par exemple, les démarches administratives pour modifier un prénom sur une pièce d’identité peuvent prendre plusieurs mois, voire des années.

De plus, la pression sociale et familiale peut être un frein. Beaucoup de parents africains considèrent encore que donner un prénom européen ou arabe à leur enfant est un signe de prestige ou une garantie de meilleure acceptation sociale. Un recruteur pourrait-il discriminer une personne nommée «Kuilga, Kouakou, Natogoma ou Adetokunbo » par rapport à un-e candidat-e nommé-e « Chantal, Ahmad, ou Patrick » ? Ce genre de préoccupations reste un facteur clé dans le choix des prénoms.

Enfin, les institutions, comme les écoles et les entreprises, peuvent parfois hésiter à utiliser les prénoms africains par manque d’habitude ou par souci de simplification. Certains jeunes finissent par raccourcir ou adapter leur prénom pour éviter des complications dans un environnement professionnel international.

 


Le retour aux prénoms qui ont du sens est bien plus qu’une simple tendance. Il représente une reconquête de l’identité, une résistance face aux effets persistants de la colonisation et un hommage aux ancêtres. Chaque prénom africain porte une signification, une histoire, une vibration unique qui mérite d’être célébrée.

Ce mouvement ne cesse de grandir et s’accompagne d’un renouveau culturel plus large : retour aux langues locales, promotion des cultures ancestrales et affirmation d’une identité africaine fière et décomplexée. Dans quelques années, il se pourrait bien que les générations futures ne ressentent plus le besoin de « revenir » aux prénoms africains, car ils n’auront jamais eu à les quitter.

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